La bonne blague

Le claquement sec du verrou me fait sursauter.
Il fait encore nuit et ils veulent remettre une nouvelle fois le couvert. A quoi bon résister ?
Une mandale fuse en guise d’apéro au cas où je ne serai pas assez réveillé. Un pied m’appuie sur le dos et me pousse hors du lit, une main empoigne mes cheveux et m’arrache le scalp histoire de m’aider à me relever plus vite. Le rituel quotidien, jusque là tout va bien…

Comme je suis incapable de me redresser par mes propres moyens deux mains en acier me soulèvent par les aisselles. J’ai du mal à garder la tête droite, surtout depuis la dernière série de crochets… Pour sûr que le type avait une sacrée gauche !
On me traine plus qu’on ne m’entraine. De toute façon je n’ai pas la force de tenir sur mes jambes, plus depuis qu’ils m’ont pulvérisé les rotules à coups de barre de fer.
Le couloir est long, j’y passe le temps en comptant les taches de sang séché maculant le sol. Je me souviens que gamin on m’avait fait passer des tests chez une psy. Dans l’un d’entre eux il fallait reconnaitre des silhouettes cachées dans des taches d’encre. Amusant que ça me revienne maintenant parce qu’on arrive justement à mon endroit préféré. J’ouvre un peu plus l’œil qui fonctionne encore, penche la tête et tente de décrypter ce qui peut bien se cacher dans la plus belle des taches du mur, celle qu’est à peu près au milieu du couloir…

Ça ressemble à une fenêtre ! Ouais c’est ça, une foutue ouverture donnant sur une chaude nuit tropicale. Les gardiens me soulèvent et me balancent à travers, alors je tombe sur le sable et me laisse rouler jusqu’à l’eau pour que ce qui reste de mon corps s’y dissolve, disparaisse définitivement hors de leur portée.
Mmh ! S’immerger, flotter, ne plus sentir le poids des membres brisés, laisser le froid engourdir la douleur qui irradie dans ce corps mutilé, sombrer dans le silence apaisant d’un abysse où nul cri de souffrance ne viendrait troubler ma quiétude… Du fond de ma gorge s’échappe, bien malgré moi, un gémissement de plaisir. Il me vaut une réprimande immédiate sous la forme d’un poing s’abattant sur un nez plusieurs fois éclaté. Je gémis encore, mais de douleur pour le coup.

On passe déjà l’autre porte ? C’est fou comme le temps passe vite lorsque l’esprit est occupé… Rien n’a bougé, ils n’ont même pas nettoyé la flaque sanguinolente dans laquelle patauge le troisième blafard. On m’assoit sur le fauteuil en skaï véritable, mains sanglées sur les accoudoirs. Comme je ne peux plus bouger les jambes ils ne prennent pas la peine de les lier.

Tiens, une infirmière est là ! Ça fait du bien une présence féminine dans ces instants là, on se sent tout de suite plus en confiance. Elle me regarde. Je vois qu’elle retient ses larmes.
T’inquiète pas poulette, ils n’ont pas encore touché à l’essentiel, tout n’est pas perdu ! Je tente une œillade grivoise. En vain. Ma paupière a récemment obtenu son émancipation et vit depuis sa propre existence.
Miss univers m’ausculte rapidement, se tourne vers le toubib, lui murmure que ça devrait aller puis disparait… Pardi ! Bien sûr que ça va aller, j’ai pas encore l’intention de casser ma pipe ma jolie, on a rendez-vous !

Docteur Mabuse se retourne, un rictus mauvais déforme son visage taillé à la serpe.
Il s’approche, sa plus chouette paire de tenailles à la main et là je ne peux m’empêcher d’éclater de rire. Il va être déçu, il a oublié qu’il a déjà arraché ma dernière dent y a même pas deux jours. Je ménage mon effet, attend qu’il soit un peu plus prés… Alors je lui décoche mon plus beau sourire en ouvrant bien grand la bouche histoire de bien lui foutre les boules. Un gloussement spasmodique de joie secoue ma cage thoracique.
Il hausse les sourcils, secoue pathétiquement la tête de droite à gauche et observe pensivement ma main droite…
Zut, je suis déçu !

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